Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/353

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intimes, des révoltes secrètes, des désirs tour à tour élancés et comprimés. Mes pauvres treize ans n’avaient jamais connu encore cette douloureuse invasion du cœur par un désir criminel. Comment devinai-je la tragédie silencieuse dont la songeuse de ce jardin d’automne était la victime ? Et je la devinais… Oui, je devinais que seule, en fait, le long de ces allées, elle n’était pas seule en pensée. Je devinais quelle image l’accompagnait durant ces longues heures de méditation, qui elle évoquait et repoussait tour à tour, et la preuve en est dans mon absence d’étonnement, lorsqu’une après-midi, m’étant mis comme d’habitude à mon poste d’observation, je vis que cette fois elle avait auprès d’elle, dans la visite au paisible jardin, M. de Norry lui-même. Mon Dieu ! que cette scène m’est présente encore, et fallait-il que ce mystère mordît sur mon imagination à une profondeur extraordinaire, pour qu’aucun détail d’un épisode aussi simple ne se soit aboli de ma mémoire ?… Voici que de nouveau le ciel natal m’apparaît tout voilé, tout ouaté, ce jour-là, d’une brume douce, et les bordures de buis des allées, et les chênes avec leur ramure couleur de rouille, et les platanes avec leurs grandes feuilles couleur de cuivre, et l’amoureux et l’amoureuse, et le carreau de la fenêtre que mon haleine embuait par instants, et voici que de nouveau j’éprouve un sursaut d’épouvante, celui d’un voleur pris sur le coup. La main de mon grand-père est sur mon épaule, et j’entends sa voix qui me dit : — « Que