Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/362

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

rès ce dîner des Rois, si étrangement interrompu, « R… a tenu sa parole, notre oiseau s’envole, il est nommé à Marseille. C’est encore un avancement. » — « Est-ce que Mme Réal le sait ? »demandait ma grand’mère. — « Je suppose que Réal le lui aura dit » répondit mon oncle. « Elle ne s’est pas levée depuis son évanouissement. En voilà un, ce Réal, qui me devra une fière chandelle », conclut-il après un silence « mais il n’en saura jamais rien. D’ailleurs, ce que j’ai fait, je ne l’ai pas fait pour lui… Enfin, elle est sauvée… » M. de Norry quitta en effet la ville pour gagner son nouveau poste, sans avoir revu Mme Réal qui mit bien des jours à se relever de ce que les médecins qualifièrent du nom de fièvre nerveuse. Et elle fut sauvée du séducteur. — Par cette fièvre ou par mon grand-père ? Le digne avocat est mort persuadé qu’il était l’auteur de ce sauvetage. Aujourd’hui que l’enfant qui écoutait, tapi dans un coin, les propos des deux vieilles gens, sans qu’ils y prissent garde, est devenu un homme, il n’est pas tout à fait de l’avis de son aïeul, et il ne croit pas davantage à la vérité de cette fièvre. Il se rappelle la mère regardant sa grande fille, toute troublée, presque amoureuse et qui offrait son front au baiser de celui qu’elle allait prendre pour amant — Et il croit que c’est cette vision-là qui a empêché cette femme d’aller plus loin sur la dangereuse route…

Janvier 1900.