Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/361

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passèrent de nouveau du côté de celui que j’avais prévu, et, plus rougissante encore, elle balbutia plutôt qu’elle ne dit : — « Je prends M. de Norry pour mon Roi… » — « Alors », reprit M. Réal, « remplis ton verre de Champagne et va trinquer avec ton Roi… » Isabelle prit dans sa main la flûte de mousseline, où le domestique versa le vin pétillant qui se couronna de sa mousse légère, et elle se leva pour marcher vers M. de Norry. Là, comme elle lui tendait son verre avec un sourire ému pour le choquer avec le sien, le jeune homme, par un geste de câline affection qui prouvait combien il la considérait comme une enfant, lui prit la main, et, l’attirant à lui, posa ses lèvres sur son front… A peine eus-je le temps de sentir la morsure de la jalousie, devant cet innocent baiser, car j’entendis tout d’un coup la voix de mon grand-père, cette fois, qui disait : — « Mais, madame Réal, qu’avez-vous ? Qu’avez-vous ?… Elle se trouve mal… Vite de l’air… » — « Ce ne sera rien, » répondit la mère d’Isabelle. « C’est la chaleur sans doute… Messieurs, je vous demande pardon… » Elle fit un effort, pour sourire et pour se lever, puis elle retomba en arrière, évanouie.

VI

— « Hé bien ! » disait mon grand-père à sa femme en lui tendant le journal une semaine ap