notre propre conscience ? J’aurais été incapable de dire pourquoi cette attitude des parents d’Eugène se raccordait à l’image que je me faisais d’eux tout au fond de moi-même. Quel paradoxe invraisemblable pourtant que cet effacement subit d’un père et d’une mère qui n’ont vécu que pour leur fils, devant le succès de ce fils ! Quelle anomalie, que ce renoncement à la joie quotidienne de partager son triomphe, — leur œuvre ! Je les avais vus, dix années durant, ne respirer, ne vivre que pour assurer à leur enfant le loisir de suivre sa carrière, de préparer ses examens, de devenir le médecin considérable qu’il allait être, qu’il était, et ils refusaient de se mêler à cette réalisation du passionné désir de toute leur existence ! S’étaient-ils jugés trop humbles d’extraction, trop frustes de manières ? Prévoyaient-ils que leur fils se marierait dans un monde supérieur à eux, et s’écartaient-ils déjà, par un suprême sacrifice ? Quelques-unes de ces hypothèses étaient acceptables. D’autres non. La seule à laquelle je n’eusse pas pensé était que ces gens eussent commis une action qu’ils ne pouvaient pas se pardonner. Comment imaginer que le regret de cette action pesât sur leur fin de vieillesse, d’une pesée d’autant plus lourde, (et sur ce point Eugène ne se trompait pas,) que Mme Corbières, avec sa dévotion à demi italienne, s’épouvantait et épouvantait son mari, à l’idée de la mort prochaine et de l’enfer certain ? Et vraiment, lorsque je songe à la suite d’accidents si simples qui dévoilèrent au fils cet abîme de misère, je le
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