Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/39

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comporter sa situation. Sans presque d’efforts et sans qu’il interrompît les travaux préparatoires à ses examens, l’année précédente s’était chiffrée pour lui par un revenu de plus de dix mille francs, somme énorme pour des habitudes comme celles de cette famille. Il vint me voir, je m’en souviens, au sortir de la scène dernière où il avait vainement essayé de les fléchir. Après m’avoir raconté son entretien avec eux, sa pressante insistance et leur refus de plus en plus affirmé, il conclut : — « Il y a de la phobie dans leur cas, c’est indiscutable. Mais j’y vois aussi, de la part de ma mère, une idée religieuse. C’est sa façon de porter le cilice que de vivre dans cette humilité. Elle me donne l’impression qu’elle veut se punir. Se punir ? Pauvre sainte femme ! Sans doute de trop m’aimer, d’être trop fière de moi… Ce qui m’étonne, c’est qu’elle fasse partager sa façon de voir à mon père… Lui n’est pas dévot. C’est tout juste s’il va à la messe maintenant, et quand j’étais petit garçon, il n’y allait jamais. Quels arguments lui donne-t-elle bien pour le convaincre ? Et il prend de l’âge, et il aurait besoin de se reposer, d’être mieux nourri, mieux logé, d’être servi… Et pas moyen d’avoir raison de ces vieilles têtes. C’est incompréhensible ! »

C’était incompréhensible en effet. Mais pourquoi cette excentricité de l’huissier retraité et de sa femme ne m’étonna-t-elle pas outre mesure ? Y-a-t-il, dans cet ensemble d’impressions mal définies que nous donne la personnalité d’autrui, une logique cachée et dont l’intuition non formulée dépasse