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Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/47

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Ils se renseignent les uns les autres, et celui-là sait que M. Corbières n’est pas très riche, sois-en sûr… »

— « Oui, » reprit Eugène. « C’est un mendiant, cela ne fait pas de doute. Mais ce n’est pas seulement un mendiant… »

— « Que veux-tu dire ?… »

— « Je veux dire que, dans le timbre de sa voix, tandis que j’écoutais derrière la porte, dans sa façon de s’en aller, dans l’accent de son : « je reviendrai », il y avait comme une menace, presque une autorité… Et si c’était un mendiant ordinaire, mon père aurait-il été troublé de mon arrivée, à ce degré ? aurait-il éludé mes questions, une fois seuls ? m’aurait-il demandé de ne pas parler de cette rencontre à ma mère ?… »

— « Mais oui, mais oui, » répliquai-je. « Tout s’explique si tu supposes précisément que c’est quelque mauvais pauvre à qui ta mère, plus sage, refuse l’aumône et qui essaie de se faufiler chez vous à son insu, pour arracher une poignée de sous à la pitié de M. Corbières… »

— « Tu n’as pas vu cet homme et mon père l’un en face de l’autre, » répondit Eugène. « Moi qui les ai vus, j’ai senti le mystère, aussi nettement que je sens ce feu… » Et il étendit sa main vers la flamme qui brillait dans le foyer, souple et dorée. « Je l’ai tellement senti, » continua-t-il, « que je me suis laissé entraîner, sous l’influence de cette impression, à un acte incroyable. En arrivant chez mon père, j’avais renvoyé ma voiture, pour faire un peu d’exercice, et marcher jusqu’à l’école. Quand