Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/52

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— « Rien, » répondit-il, « sinon que mon hypothèse est fausse. Du moment que ma mère connaît, elle aussi, ce personnage, il n’est pas ce que j’avais supposé… C’est un raisonnement qui peut sembler spécieux. Pour moi il est évident : en me suppliant, comme il a fait, de ne pas parler de cette rencontre chez lui avec ce Robert, mon père n’a rien voulu cacher à ma mère concernant cet homme, il a voulu lui cacher quelque chose me concernant. Pourquoi ?… Oui, pourquoi ?… »

Il se taisait, sans que je trouvasse même une parole pour compatir à l’étrange anxiété dont je le voyais saisi. Qu’il y eût quelque chose d’anormal jusqu’au mystère dans l’ensemble des faits auxquels il venait de m’initier, j’étais bien obligé de le reconnaître. Mais la suite du discours que m’avait tenu Eugène supposait un rapport, entre ces faits d’une part, et, de l’autre, le refus que ses parents avaient opposé à sa demande d’habiter avec lui. Or, comment admettre ce rapport ? Comment admettre davantage que les troubles de santé, dont il prétendait son père et sa mère atteints, eussent une relation quelconque avec l’existence de ce Pierre Robert, à moins que ce maître-chanteur probable, ce mendiant et cet ivrogne certain ne fût l’enfant naturel, non pas du père, mais de la mère ? Ce fut l’hypothèse qui pointa soudain, pour prendre le mot du médecin, dans mon esprit à moi, et j’entrevis cette horrible complication : une jeune fille se laisse séduire. Elle a un enfant. Elle se marie sans dire sa faute. L’enfant grandit loin d’elle qui refait sa vie.