Que celle-ci, sensible comme elle est, soupçonne la vérité, sans la savoir au juste, et cela explique tant de choses !… Cette hypothèse n’eut pas plutôt pointé dans ma pensée qu’elle y fit certitude. Je te dis cela, pour te prouver que j’en suis, vis-à-vis du trouble où je vois mes parents, à l’état morbide… Je ne distingue plus bien le possible du réel. A partir de ce moment, je commençai de passer et de repasser sans cesse par cette rue du Faubourg-Saint-Jacques, devant cette maison. Elle m’attirait et me faisait peur à la fois. L’idée que cet abominable dégénéré, dont j’avais suivi le pas incertain le long du trottoir de ce populeux quartier, pouvait être mon frère, me donnait un de ces inexprimables frissons qui nous secouent jusqu’à la racine de notre être… Je te passe mes folies, — car c’étaient des folies, j’en conviens, — mais l’attitude de mon père à mon égard augmentait ce désarroi mental. Nous ne nous sommes pas vus une fois en tête à tête, depuis la scène que je t’ai racontée. Il avait éludé mes questions, je te l’ai dit aussi, pour que je n’en parlasse pas à ma mère. Cette supplication du silence, je la retrouvais dans ses yeux à chaque nouvelle visite. C’était de quoi m’enfoncer encore dans mes imaginations, jusqu’à ce qu’en passant de nouveau rue du Faubourg-Saint-Jacques, devant la maison que je t’ai décrite, hier, dans l’après-midi, j’y ai vu entrer ma mère… »
— « Et tu en conclus ? » l’interrogeai-je, subissant malgré moi la suggestion de l’enquête passionnée à laquelle il se livrait devant moi.