Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/70

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ce que j étais devenu. Ils m’ont découvert. Comment, par exemple ? Je ne vous l’expliquerai pas. Me voyant pauvre, ils se sont mis à me donner la pièce de temps en temps pour endormir leur conscience, et aussi pour conjurer la mauvaise chance… Hé ! hé ! Ils n’y ont pas réussi. Quand j’ai vu le père Corbières pour la première fois, là où vous êtes, monsieur, je l’ai laissé causer, comme je vous ai laissé causer tout à l’heure. Il m’a dit qu’il me savait malheureux, qu’il venait me faire la charité… J’ai l’air de tout croire quand je veux, pas vrai ? Mais je raisonne, à part moi. Je me disais : toi, mon bonhomme, qu’est-ce que tu me veux ? Pourquoi es-tu ici ? Je n’ai pas compris. Et puis il est revenu, et sa femme, d’abord chaque mois, puis chaque semaine. Ils m’apportaient de quoi passer mes huit jours. C’était leur prétexte, mais en réalité, ils ne pouvaient pas ne pas venir. Je les attirais en les fascinant. Je les regardais là, dans les yeux, et toujours leur regard à eux s’en allait. Ils fouinaient devant moi, monsieur. Pourquoi ? Et puis une idée m’est venue, qu’ils étaient mêlés à mon histoire. Je leur ai parlé de l’argent que j’aurais dû avoir et de la lettre de mon père… Depuis ce jour-là, j’ai senti que je les tenais… Oh ! » conclut-il, « pour ce que je leur veux, ils ont bien tort d’avoir peur et de souhaiter que je m’en aille. Un écu de cent sous de temps à autre, de quoi boire à ma soif, et je les tiens quittes. Si je voulais, leur fils est riche. Il me rendrait tout. Mais quand j’aurais ce tout, maintenant, je vous le répète, qu’est-ce que j’en ferais ?