Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/95

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de tous les honneurs, pour entrer dans la congrégation des Frères Saint-Jean de Dieu, vouée, comme on sait, au service des malades. J’étais loin de Paris, lors de cette décision, et l’on comprendra de reste que je n’aie jamais osé l’interroger. Nous n’avons pas cessé de nous voir cependant, et lorsque le hasard d’un voyage dans le Midi m’amène à Marseille, où ces religieux ont une importante maison, je ne manque jamais de rendre visite à leur hôpital, et de demander au parloir le père Saint-Robert. Je retrouve, sous la bure noire de l’infirmier, mon ancien camarade de philosophie, le savant jadis promis à une renommée européenne, l’enfant des deux pauvres égarés que l’amour paternel entraîna au crime. Et, à chaque visite, je le trouve plus calme, plus éclairé de cette certitude qu’il a tant cherchée, avec une expression plus libre dans ses yeux, qui restent si jeunes. Et je comprends deux choses : d’abord qu’il possède aujourd’hui une foi entière, absolue ; ensuite qu’en faisant de sa science la chose de tous, une richesse qu’il prodigue parce qu’il la considère comme n’étant pas à lui, il a découvert le seul moyen peut-être de résoudre le plus douloureux problème où j’aie jamais vu pris un homme, il rend le dépôt dont ses parents ont abusé ; et comme il est resté, même sous son habit, épris de souvenirs classiques, il me cite parfois, — ce serait son seul prosélytisme, s’il n’y avait pas son exemple, — le mot du marchand phénicien jeté par la tempête sur le rivage de l’Attique où il rencontra un philosophe :