Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/106

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— « Hé bien ! s’il en est ainsi, prouvez-le-moi en me permettant de vous accompagner encore, quand je vous rencontrerai au Bois, à cheval ?… »

À cette question, trop nettement posée pour permettre aucune équivoque, et dont allait dépendre tout l’avenir de leurs rapports, la jeune fille ne répondit pas. Elle s’était levée au moment où Jules avait frappé à la porte. Elle était sortie de la petite chambre, ne voulant pas avoir là un tête-à-tête avec lui. Ces tout premiers propos d’explication avaient été échangés sur le seuil. En faisant quelques pas dans la cour, elle força son interlocuteur à les faire aussi. Elle s’arrêta tout d’un coup et parut hésiter une minute. Ses sourcils blonds s’étaient froncés. Ses paupières avaient battu. Enfin, résolue et le regardant bien en face, avec une expression infiniment sérieuse de son joli visage :

— « Monsieur de Maligny », commença-t-elle, « je vous dois trop de reconnaissance pour ne pas désirer vous revoir. Je suis trop habituée, d’ailleurs, dans mes sorties à cheval, à rencontrer tel ou tel des clients de mon père et à me promener avec eux pour que je m’interdise avec vous, qui m’avez sauvé la vie, ce que je me permets avec des indifférents… Mais vous devez comprendre que je ne suis pas arrivée à mon âge sans que l’on ait essayé de me dire ce que je ne devais pas écouter. Dans mon pays, une jeune fille ne se laisse faire la cour que par celui auquel elle est engagée[1]. » On reconnaîtra, à ce petit idiotisme, le vocabulaire anglo-français de la maison Campbell. « Tous ceux qui m’ont manqué ainsi, — on manque à une femme quand on s’occupe d’elle, et que l’on ne veut pas l’épouser, — j’ai cessé de les connaître, simplement. Promettez-moi que vous vous conduirez

  1. Engaged : — fiancée.