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Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/122

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série de sauts d’obstacles horriblement imprudents. Jules l’avait suivie sur Chemineau, qui n’avait pas non plus été très commode devant la barrière. Ils rentraient, laissant aller les bêtes au pas pour les rafraîchir quand ils croisèrent, trottinant sur un cob choisi exprès, et qui ressemblait plus à un fauteuil d’invalide qu’à un cheval, un personnage à mine tragique, Machault lui-même, l’ancien héros des salles d’armes et des hippodromes, le plus leste et le plus vigoureux des athlètes de la grande vie, voici trente ans. Une attaque d’hémiplégie l’avait terrassé l’année précédente. Il en était sorti, la bouche tirée du côté gauche, l’œil désorbité, le bras à demi paralysé. Suivi d’un groom, il essayait, pourtant, de reprendre un de ses exercices favoris, juché sur cette bête de tout repos, lui qui avait tant aimé les chevaux fringants et les périlleuses fantaisies de la haute école. Ses cheveux et sa barbe, outrageusement teints, rendaient plus sinistre encore sa face hagarde, guettée par la mort. Les deux jeunes gens passèrent à côté de ce pantin macabre, qui les dévisagea sans les reconnaître. À rencontrer ce spectre d’un de ses grands aînés, qu’il avait encore vu, quelques mois auparavant, portant beau à soixante ans passés, — aujourd’hui, quelle épave ! — l’amoureux de Hilda eut un frisson d’autant plus intense qu’il s’y mélangeait les souvenirs des propos salissants auxquels il avait cru un peu tout de même. Leur infamie lui revint et lui fit mal, si mal, qu’il ne put se retenir de jeter un coup de sonde dans la conscience de sa compagne, en lui demandant :

— « C’est ce pauvre Machault. Vous ne vous êtes pas trouvée aux chasses avec lui autrefois ?… Je parle quand il était lui… Car maintenant, vous avez vu… »