Aller au contenu

Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/123

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— « Ruin’d piece of nature !… »[1], répondit Hilda. Ses minces épaules s’étaient crispées, tandis qu’elle employait instinctivement, pour traduire son impression de pitié, une phrase du poète qui est, pour tout Anglais, ce que Dante est pour tout Italien : la source inépuisable des citations. Puis, fixant l’espace devant elle, avec son regard de fille de puritains, puritaine elle-même : « Comme mon père a raison de toujours citer le verset de Paul : Je me suis réservé la vengeance, dit le Seigneur. »

— « Quelle vengeance ? », interrompit Jules. « Je ne vous comprends pas. »

— « Ce n’est pas bien intéressant à raconter, » fit-elle, avec un demi-sourire un peu amer. « Vous vous souvenez, quand vous vous étiez trompé sur mon compte, que je vous ai parlé de gens qui ont essayé de me dire ce que je ne devais pas écouter ?… Un des pires a été M. Machault. Un jour, à la chasse, justement, dans la forêt de Rambouillet, nous nous sommes trouvés assez loin des autres… Il a essayé de m’embrasser. J’ai dû le frapper de ma cravache, au visage… C’était un bien mauvais homme ! Comme il est puni !… »

Ce court récit, commencé impulsivement, parut lui avoir infligé soudain une émotion presque insoutenable. Toute la pudeur d’une fille de cœur qu’un insolent a froissée avait frémi dans sa voix. Rendons cette justice à Jules : il ne mit pas en doute, une seconde, la véracité de la charmante et sauvage enfant. Mais l’occasion était trop tentante d’exorciser à jamais toutes les flétrissantes idées dont il appréhendait secrètement qu’elles ne revinssent l’obséder quelque jour, et il dit :

  1. Oh ! fragment ruiné de la nature !… C’est l’admirable cri de Glocester devant le roi Lear, devenu fou et paré de fleurs sauvages. Lear, IV, 6.