Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/194

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rigueur commerciale à l’égard d’un client avec lequel il ne voulait entrer dans aucune explication ? Était-ce simplement, et quoiqu’une certaine cordialité de relations se fût établie entre eux, la routine d’une formule dont le marchand de chevaux ne se départait jamais, en vertu du principe de son pays, passé chez nous en proverbe, sous sa forme originelle : Business is business ? Maligny s’était posé ces questions. Il ne les avait pas résolues. La gêne dont il se sentait saisi à l’idée d’une rencontre avec le vulgaire mais loyal Bob, aurait dû lui prouver que sa conscience n’était pas absolument tranquille. Il n’avait pas une égale appréhension de Corbin lui-même. La démarche de celui-ci rue de Monsieur lui apparaissait, de plus en plus, comme trop ambiguë. Il pouvait y voir, et il y voyait, — très injustement d’ailleurs, — la ruse, pas très honnête, d’un rival. Que se dire, en revanche, vis-à-vis du père ? Que se dire aussi vis-à-vis de la fille ? Un détail démontrera ce secret remords : cet audacieux Jules, auquel ses amis et amies reprochaient volontiers un aplomb très souvent voisin de l’effronterie, n’avait plus reparu au bois de Boulogne depuis son retour à Paris, vers la fin de septembre. Galopin faisait, maintenant, tout son travail dans un manège voisin de la place des Invalides, où son maître l’exerçait à sauter, soi-disant en vue des prochaines chasses. Ses sorties, quand ce maître se décidait à le faire trotter en plein air, se bornaient à remonter jusqu’à la Muette par l’avenue Henri-Martin et à revenir par la même route et le Champ de Mars. Que pensait, dans son obscur cerveau, le « sans-raison » des étranges caprices de son jeune et pas beaucoup plus raisonnable seigneur, tout en mâchant son mors et relevant son allure avec l’impatience d’une bête énervée à qui l’on ne donne pas assez d’exercice ?