Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/196

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comme il les lui a rapportées dans son terrible billet, auquel il lui a été impossible de répondre. Qu’il ne soit pas venu lui parler, qu’il n’ait pas tenu à honneur de lui dire lui-même cet adieu, qu’il n’ait pas eu le besoin de la revoir, qu’il n’ait pas compris combien elle avait, elle, le besoin de le revoir, voilà le point douloureux et qui fait blessure dans ce cœur si tendre, si vrai. Les créatures comme elle, profondément nobles et délicates, même quand elles ne professent pas l’orgueil de leurs manières de sentir, ont un instinct qui les fait désirer d’être traitées d’après cette haute sensibilité. C’était le poison sur la blessure, l’envenimement de la plaie que la méconnaissance de son caractère par le jeune homme. S’il l’avait jugée comme elle méritait d’être jugée, eût-il hésité à lui demander un sacrifice auquel sa générosité eût consenti ? jamais, non, jamais, elle n’eût passé outre au refus de Mme de Maligny dans les circonstances que disait le billet. Jules ne lui devait-il pas de lui donner l’occasion de ce dévouement ? Quand même, — son romanesque esprit lui suggérait ces folies ! — n’auraient-ils pas pu, s’ils avaient dénoué leurs fiançailles ainsi, en s’en expliquant et sur un accord loyal et réciproque, oui, n’auraient-ils pas pu redevenir des amis ? Elle avait pensé à le lui offrir. Et puis elle n’avait pas trouvé les mots. Leurs promenades eussent été moins fréquentes. Ils se fussent rencontrés une fois tous les huit jours, une fois tous les quinze jours. Ce n’eût pas été l’accablante détresse de cette rupture absolue, de ce silence total, de cet abandon sans un événement… Si seulement il lui eût envoyé une seconde lettre !… « Non. Il ne m’aimait pas… » se dit-elle, et les pleurs lui viennent. — Sans cesse, où qu’elle soit, quand cette affreuse phrase se prononce en elle, le chagrin lui monte à la gorge, la lui serre. Elle sent rouler sur ses joues,