Aller au contenu

Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/205

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

une lueur singulière, et son sang courut plus vite, l’émotion lui étreignit la gorge. Son appréhension ne l’avait pas trompée. Jack a vu l’autre !… Elle connaît son empire absolu sur son cousin et les intransigeants scrupules de cette loyauté d’homme. Il lui a solennellement promis qu’il n’aurait jamais d’altercation avec Maligny. Elle est certaine qu’il n’en a pas eu, et, avec cela, une peur soudaine la saisit, qui augmenta encore à l’entendre lui répondre :

— « Oui. Beaucoup de monde. » Puis, d’une voix presque basse : « Hilda, j’ai vu hier quelqu’un. » Jack souligna ce terme si vague en le prononçant. Puis, brièvement, et avec sa rudesse coutumière : « Oui, j’ai vu M. de Maligny. Il était là. Il faut que je vous en parle. Il le faut… »

— « Hé bien ! » répondit-elle, d’une voix toute basse, elle aussi, « parlez-m’en. » Ses yeux s’étaient détournés et fixaient le pavé de la cour. Elle avait croisé ses bras sut sa poitrine, et elle s’était mise à marcher. Corbin la suivit. Ils arrivèrent ainsi jusqu’à la rue de Pomereu, déserte à cette heure et traversée seulement par des fournisseurs, un boulanger, un laitier, un boucher, qui sonnaient aux portes de service des petits hôtels, paresseusement endormis sous les volets de leurs fenêtres encore fermées. Ce fut là, descendant et remontant l’étroit trottoir, que le dévoué cousin, et qui croyait, par cette confidence, sauver à jamais d’une funeste passion la misérable enfant, se mit à raconter les événements de la veille. Il s’exprimait en anglais, bien entendu, — et quel anglais ! Ce sauvage mélange de mots d’écurie et de slang[1] formait un contraste fantastique avec l’élégante aventure parisienne dont la jalousie du

  1. Slang, argot.