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Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/230

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la croyait recouchée. Elle venait s’emparer de la lettre écrite sur sa suggestion, et la détruire… Une terreur la saisit, à voir le panier de métal vide. Il n’arrivait pas dix fois par an, au marchand de chevaux de mettre lui-même sa correspondance à la boîte. Le hasard avait voulu que, ce matin-là, il dût aller au bureau de poste toucher un mandat qui exigeait sa signature. Il avait pris sur lui tout son courrier. Aucune puissance au monde ne pouvait empêcher, maintenant, que Jules n’eût cette lettre… Le choc fut si fort que la malheureuse Hilda dut s’asseoir, sur le même siège qu’elle occupait durant cette heure de l’après-midi de printemps où le jeune homme lui avait murmuré ces mots si doux, ce même Jules !… Il allait avoir cette lettre. Il allait revenir ici… Il n’était pas possible qu’il n’y revînt pas. À quel égarement avait-elle cédé ? Comment n’avait-elle pas compris qu’il ne se tromperait pas une minute sur la signification vraie de cette démarche du père ? Il y verrait, il ne pouvait pas ne pas y voir une manœuvre de la fille pour le rappeler. Que penserait-il d’elle, alors ? S’il la démentait auprès de son père, quelle explication donner ? Campbell professait, pour le mensonge, une haine attestée par un très petit signe, mais la jeune fille en savait toute la valeur. Le maquignon avait, lui aussi, en bon Anglais, suspendu au mur de sa chambre une pancarte où il avait fait transcrire en caractères gothiques et colorés un verset de la Bible. Il avait choisi celui de saint Paul dans l’Epître aux Ephésiens : « C’est pourquoi, vous éloignant de tout mensonge, que chacun parle à son prochain dans la vérité, parce que nous sommes les membres les uns des autres[1]. » Et, non moins fidèle à l’autre dévotion nationale, en regard, sur une autre pancarte, se

  1. Eph., IV, 25.