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Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/241

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donner cet air de femme très riche, si déplaisant lorsque la femme très riche n’est pas, en même temps, une très grande dame. Des deux, la Dame, — au vrai sens de ce joli mot d’autrefois, — c’était la fille du maquignon, dans la tenue de son gagne-pain. L’autre, avec son harnachement, exécuté par les meilleurs faiseurs de la rue de la Paix, restait ce qu’elle avait toujours été : la belle demoiselle de magasin, promue à une opulence absurde par un paradoxe du hasard. Sur un point, la légende recueillie par Corbin était strictement exacte : Mme Tournade, de son premier nom Julie Chipot, avait commencé par être essayeuse dans une grande maison de fourrures. Le plus jeune des trois frères Tournade, celui que l’on avait surnommé Boudin d’Or à cause de ses millions et de la rotondité de sa petite personne, l’avait remarquée là. Sur un autre point, la légende était inexacte : l’ex-mannequin n’avait jamais été une femme entretenue. Calcul ou honnêteté, elle avait résisté au galant Tournade et elle s’était fait épouser. Toujours par calcul ou par honnêteté, elle n’avait cessé d’être irréprochable, et durant sa vie conjugale et depuis son veuvage. Aussi, avait-elle conquis une espèce de situation de monde dans cette société, limitrophe de la vraie, qui d’année en année, dès cette époque, étendait ses frontières. Où sont-elles, aujourd’hui, ces frontières ? Mme Tournade donnait des fêtes dont les journaux « bien parisiens » parlaient. Elle avait sa loge à l’Opéra, à l’Opéra-Comique, au Français. Les guides citaient, au nombre des merveilles de Paris, la façade de l’hôtel qu’elle s’était bâti aux Champs-Elysées, sur l’emplacement de celui d’une authentique duchesse jugé trop mesquin par la veuve du fastueux Boudin d’Or. Ni ces diverses élégances, ni même les restes assez bien conservés — ou réparés — de sa beauté, n’empêchaient une vulgarité foncière qui tenait à ce