Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/244

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dents serrées, assez distinctement pour que Corbin l’entendit :

— « L’affreuse vieille Jézabel peinte[1] ! » dit-elle, empruntant en vraie Anglaise, à la Bible d’Oxford, une expression dont l’énergie devenait plus dure encore sur ses lèvres, habituées à l’indulgence. Devant cet éclat, le cousin se crut autorisé à lui dire, avec sa sollicitude qu’aucune rebuffade ne décourageait, de même qu’aucune maladresse ne l’éclairait :

— « Vous voyez que j’avais bien raison, Hilda, tout à l’heure, de ne pas vouloir que vous receviez cette dame. »

— « Au contraire, » fit-elle. « Il vaut mieux que j’ai causé avec elle. Je sais à quoi m’en tenir, à présent… À partir d’aujourd’hui, M. de Maligny n’existe plus pour moi… Oui, » insista-t-elle, « il m’est aussi indifférent que ceci… » Elle portait toujours, à la boutonnière de sa jaquette de cheval, depuis le printemps, un œillet, renouvelé chaque matin. C’était la fleur favorite de Jules. Elle arracha la corolle, rouge comme sa jolie bouche, qui n’avait pas besoin, elle, du bâton de carmin. Elle arracha aussi la tige et jetant ces débris par terre, elle les écrasa sous son pied. Puis, avec la même confiante familiarité qu’autrefois, et comme pour bien prouver à son cousin que ses griefs contre lui avaient disparu en même temps que son amour pour un indigne, elle reprit : « John, voulez-vous veiller à ce que Dick resselle le premier cheval ? Si cette dame doit chasser avec, cette semaine ou l’autre, il faut qu’il soit un peu plus mis… »

  1. Allusion au passage célèbre du Livre des Rois (II, 9, 30) : « Jéhu entra dans la ville. Jézabel, l’ayant appris, mit du fard à ses yeux, se para la tête et regarda par la fenêtre… » Le texte anglais de la Bible d’Oxford porte : « She painted her face ».