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Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/25

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rien exprimé de ce qu’ils sentaient, même dans cette première heure de leur désespoir. Mais on ne les a pas vus, de tout un mois, dans l’écurie. Il fallait, cependant, aller en Angleterre chercher des chevaux, — Jack y est allé, — surveiller le foin et l’avoine de ceux de Paris, leur pansement, la quantité d’exercice à leur donner, répondre aux clients, essayer les bêtes nouvelles, confirmer les anciennes, expédier les vendues, débattre les prix. Ce grand garçon à mine de clown, qui, lui, savait à peine le français, exécuta ce tour de force. La maison Robert Campbell ne manqua pas une bonne occasion, pendant cette réclusion, au sortir de laquelle le veuf et l’orpheline recommencèrent de vivre leur vie comme devant. L’oncle dit seulement à son neveu, en l’appelant du même terme affectueux que ses chevaux :

— « You are a dear old boy, Johnny. » (Vous êtes un cher vieux garçon, mon petit John.)

Et Corbin avait émis une espèce de réponse inintelligible qui rappelait fort un ébrouement. Mais, à force de fréquenter ces animaux, n’était-il pas arrivé à leur ressembler ? Son long visage maigre avait pris la ligne busquée d’un profil de cheval, ce que les maquignons de là-bas appellent le « nez romain ». Il était mince et ensellé comme un pur sang. Quel âge avait-il alors ? Le même qu’aujourd’hui, je gagerais, s’il existe encore… Son extrait de naissance lui aurait donné trente-cinq ans ou cinquante, que vous n’auriez été étonné ni dans un cas, ni dans l’autre, tant le cuir tanné qui lui servait de peau avait été bistré, brûlé, gaufré par le vent, le soleil, la pluie. Son existence, depuis qu’il avait été mis en selle, à peine capable d’empoigner une crinière, s’était passée tout entière dehors, sans autre couvre-chef qu’une casquette en drap brouillé. En réalité, à cette date de