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Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/257

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de la sorte sans la coïncidence de la démarche faite par Campbell. Celle-là impliquait nécessairement une suggestion émanée de Hilda. C’était donc avec une forte inclinaison à la défiance que le jeune homme s’acheminait vers la rue de Pomereu. Rien qu’à constater la froideur voulue de l’accueil de la jeune fille, toutes les hypothèses de soupçon, comme flottantes dans son esprit, se cristallisèrent soudain en certitude. Plus de doute. Hilda ne l’avait fait revenir que pour lui jouer la comédie de l’indifférence, afin de le piquer au jeu, dans le même moment où elle éveillait la jalousie de la riche veuve. C’était bien le plan qu’il avait deviné. « Nous sommes à deux de jeu… » se dit-il. Tout de suite, le diabolique instinct de ce qu’il faut bien appeler la coquetterie masculine s’éveilla en lui. John Corbin, qui s’était engouffré, à son approche, dans un des box et qui l’épiait, par-dessus l’échine d’un énorme cheval, auquel il faisait semblant d’ajuster mieux sa couverture, en demeura littéralement stupéfié : au salut distant de Hilda, le fiancé infidèle avait répondu par le plus aimable et le plus ouvert des sourires. Il serrait la main du gros Campbell avec une chaude cordialité. Il s’enquérait de chaque détail de l’écurie, s’adressant à la jeune fille elle-même, et John entendait ces bouts de phrases :

— « Avez-vous toujours ici le Rhin et le Rhône ?… Si vous voyiez sauter Galopin, maintenant, vous ne le reconnaîtriez plus, miss Hilda… Ce n’est pas une fois, c’est vingt fois que j’ai voulu pousser jusqu’à la rue de Pomereu et demander de vos nouvelles, monsieur Campbell… Je suis allé en Norvège, cet été. J’ai rapporté, à votre intention, deux bouteilles de l’eau-de-vie de grains qu’ils fabriquent là-bas. J’en conviens, cela ne vaut pas votre whiskey, celui que vous m’avez fait goûter, un soir… En avez-vous encore ?… »