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Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/279

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— « Beau cheval, c’est vrai… Acheté à Dublin au horse show… Très brillant… Du fond… Prend une haie de six pieds… »

Puis, tout bas, en anglais, cette fois :

— « Je vous en supplie, Hilda. Contrôlez-vous… Ne vous donnez pas en spectacle… » Débile traduction du dicton énergique : Don’t make a fool of yourself, « ne faites pas une folle de vous-même », par la brutalité duquel le cousin, si soumis, trahissait l’excès de son inquiétude.

— « Vous avez raison, » répondit Hilda à mi-voix et dans la même langue. Elle avait eu le tressaillement d’une personne abîmée dans une hallucination et qu’un rappel soudain réveille à la conscience des choses qui l’entourent. Ce n’était plus Maligny qu’elle regardait ainsi avec des yeux comme hypnotisés. C’était Mlle d’Albiac, qui, visiblement, de son côté, avait remarqué ce regard. Elle s’était penchée sur le garrot de son cheval pour parler à un cavalier d’un certain âge, lequel avait mis pied à terre et desserrait la gourmette de la monture de la jeune fille, avec une privauté toute paternelle. Nul doute qu’elle ne lui eût demandé qui était cette nouvelle venue, dont l’observation trop attentive l’étonnait. Le cavalier qui n’était autre en effet que d’Albiac, avait, à son tour, interrogé son voisin. Tous deux avaient dévisagé Hilda. Le voisin avait dit un nom que le père avait répété à sa fille. Jusque-là, rien que de très naturel. Mais que signifiait le geste d’étonnement, aussitôt réprimé, que Louise ne put s’empêcher d’esquisser ? Pourquoi commença-t-elle de tourner sans cesse, elle aussi, ses yeux dans la direction de miss Campbell, avec une curiosité à laquelle sa bonne éducation ne lui permettait pas de céder ? Et elle y cédait, cependant. Pourquoi ?… Mais pourquoi les yeux de Mme Tournade allaient-ils de l’une à l’autre