Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/28

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automobiles amenant ou remmenant des clients, et les claquements de fouet du gros Bob excitant un cheval qu’un homme faisait courir en le tenant en main… Qu’une rêverie romanesque eût jamais pu éclore parmi ce décor et dans le cerveau d’un des personnages les plus frustes entre ceux qu’il encadrait, autant valait imaginer Campbell lui-même renonçant à son tailleur anglais, à ses chevaux anglais, à son église anglaise, à sa reine anglaise et à son breakfast pris sur les neuf heures, à la vieille mode de là-bas.

Ce n’est pas seulement l’aspect, en effet, qui transformait ce bizarre endroit en un coin détaché d’Angleterre. Bob « colonisait » chez nous comme des milliers de compatriotes à lui étaient et sont en train de « coloniser » dans tous les pays de l’un et l’autre hémisphères. Coloniser, c’est d’abord rester soi, et, par conséquent, imposer, dans sa maison, les habitudes du pays natal. La plus significative est la distribution des heures et le genre de la nourriture. Le marchand de chevaux et toute sa tribu, depuis sa fille et son neveu qui vivait avec lui jusqu’au petit groom de dix ans, en passant par la légion des garçons d’écurie, faisaient ce premier repas de neuf heures à la fourchette : les hommes à leur idée, lui avec une forte assiettée de porridge, des œufs au petit salé, un poisson frit ou grillé, de la marmelade d’oranges amères. À deux heures, c’était un lunch froid, pris, le plus souvent, debout, et qui se composai d’un peu de jambon d’agneau arrosé d’une sauce à la menthe. Un thé vers les cinq heures et, à huit, un souper léger, complétaient la liste de ces repas où il ne se versait jamais une goutte de vin. Hilda ne buvait que de l’eau et les deux hommes de la limonade quelquefois, et, le plus souvent du whiskey. Jamais un légume n’a paru sur cette table qui n’eût été cuit simplement à l’eau, sans beurre. Quand Mrs. Campbell vivait,