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Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/290

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Est-ce qu’elle ne comprend pas, à me voir auprès de Mme Tournade, que je suis ici par ordre ?… Mais non. Mlle d’Albiac était loin. Elle n’a pas entendu, quand cette femme m’a parlé comme je ne parlerais pas à une maid… Avec ce sourire et cette expression, elle ne peut pas ne pas être bonne, sî bonne ! Elle m’aurait plainte d’avoir été traitée de la sorte… Ah ! qu’elle me plaindrait, si elle savait ! Qu’elle me plaindrait !… »

Ainsi s’accomplissait, sans qu’elles le voulussent, dans ces deux âmes, faites pour se comprendre, dès que le hasard les aurait mises en présence, un de ces phénomènes de sympathie à distance, entre personnes étrangères, qui semblent tenir du miracle. Il faut renoncer à expliquer ce jeu des âmes les unes sur les autres par les lois connues de l’esprit. Mais les savants expliquent-ils davantage ces cas de télépathie ou de lecture de pensées, indiscutables pourtant, et qui offrent une analogie singulière avec le principe, tout physique, des vases communicants ? On dirait vraiment qu’entre certains êtres un courant psychique s’établit à de certaines heures, qui met leurs pensées à un même niveau, si l’on peut dire, ou, pour prendre une image d’un ordre différent et plus exact, à un même diapason. Peut-être, doutant l’une et l’autre de celui qu’elles aimaient, Louise d’Albiac et Hilda Campbell étaient-elles plus disposées encore à subir ce magnétisme, cette contagion réciproque de mélancolie et de pitié. Chacune des deux se plaignait elle-même en plaignant l’autre. Chacune aussi, en préférant l’autre à Mme Tournade, se préférait un peu elle-même… Mais, si amoureuse et si rêveuse que soit une jeune fille, il ne faut pas qu’elle suive une chasse à courre quand elle veut s’abandonner tout entière à cette langueur éparse