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Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/313

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conversation engagée à cette même minute, entre Louise et son ancien fiancé. Le perspicace Maligny reconnaissait bien ce trouble. Il en concluait que ses duretés de tout à l’heure avaient maté miss Campbell. Une expression de défi triomphant passait maintenant dans ses prunelles. Il semblait dire, cet insolent regard, il disait : « Croyez-vous que je n’aie pas lu dans votre jeu ?… Vous aviez réussi à me brouiller avec Mme Tournade. Cela ne vous a pas suffi. Vous vous êtes arrangée pour faire la connaissance de Mlle d’Albiac. Et puis, vous avez eu peur. Vous vous êtes tue, très sagement. Avec celle-ci, vous perdriez votre temps. » Oui, c’était la signification de ces yeux moqueurs, de cet ironique demi-sourire, de ce hochement de tête. Et, pour que la méconnue n’en pût douter, l’impudent trouva le moyen de lui répéter tout haut, en propres termes, ce qu’elle avait si distinctement déchiffré sur sa physionomie. Tous les félins sont cruels, à un moment donné, par un instinct aussi profond en eux que le désir de plaire, et qui tient à la nature de leur sensibilité, trop nerveuse. Qui ne sait les incohérences déconcertantes des émotifs de cet ordre, et comme la répulsion et le désir, la sécheresse et la tendresse, alternent dans les organismes dominés par les nerfs, avec un illogisme qui dénonce le déséquilibre caché ? Dans cet instant, Jules haïssait Hilda. Il n’aurait pas pu expliquer pourquoi. Lui en voulait-il des torts immenses qu’il avait vis-à-vis d’elle, dans ce domaine des rapports d’âmes, qui a son code d’honneur gravé au vif de nos consciences ? Quoiqu’il n’en convînt pas vis-à-vis de lui-même, il y avait tant manqué ! Lui gardait-il rancune des injurieux soupçons formés contre elle, la semaine précédente, et auxquels il croyait tantôt et tantôt ne croyait pas, avec un arrière-fond d’incertitude ? De