Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/325

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qui le tient par le plus décevant des espoirs, celui d’un héritage de plus en plus hypothétique. Elle a une santé de campagnarde, entretenue par une hygiène qu’elle surveille aussi jalousement qu’elle fait son mari. Et le demi-Slave, si indépendant vis-à-vis de sa mère, achève sa seconde jeunesse dans cette sujétion dorée, mais de plus en plus veule. Au nitchevo ancien a succédé le nitchevo résigné que traverse, par instants, le souvenir de la petite écuyère, dont il lui arrive de parler à son ami Raymond de Contay, le seul de ses anciens camarades que sa femme lui permette, avec des tremblements mouillés dans la voix. L’histoire de ce romanesque amour s’est légèrement faussée à travers ces confidences. L’infortuné Jack Corbin porte aujourd’hui la responsabilité de ce suicide de la pauvre Hilda. C’est lui, d’après cette nouvelle légende, qui, par jalousie, a calomnié Jules auprès de la jeune fille, alors qu’il était, lui, Jules, décidé à l’épouser si bien que le mariage avec la millionnaire est devenu une autre espèce de suicide pour l’amoureux méconnu. Et Raymond de Contay, le plus brave cœur du monde et le plus incapable de fausseté, croit l’imposteur, lequel — chose plus extraordinaire — finit par se croire lui-même ! Il n’y a qu’une personne devant laquelle il ne se trouve jamais, quand ils se rencontrent dans le monde, sans que la voix intérieure, celle de sa vraie conscience, se réveille pour lui crier : Bourreau ! Bourreau ! On l’a deviné : cet irrécusable témoin est la perspicace Louise d’Albiac, devenue, par un mariage plus honorable mais pas beaucoup plus heureux que celui de Jules, la marquise de Bonnivet. À elle aussi, Maligny aura fait manquer sa vie, en manquant la sienne propre, à cause du désenchantement qu’a mis en elle cette navrante histoire de la généreuse et malheureuse Hilda, cette sœur par l’âme