Aller au contenu

Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/324

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

son retour de cette partie de chasse, il était à ce point bouleversé qu’il avait parlé, lui aussi, comme Corbin, et la vieille dame, si droite et si fière, avait été trop émue de ce qu’elle avait appris. Jules l’a pleurée comme il vous avait pleurée, et puis les millions de l’ancien mannequin ont eu raison de ces larmes. Vous êtes vengée, fine et délicate Hilda, mais d’une vengeance qui vous eût fait mal. Ledit mannequin, devenue Mme la comtesse de Maligny, vit toujours. C’est aujourd’hui une femme de plus de soixante ans, outrageusement teinte et maquillée, plus « vieille Jézabel peinte » que jamais, et qui n’entend pas que son toujours jeune époux dépense l’argent de la communauté chez ces demoiselles. Toujours jeune ? Astiqué, pommadé, sanglé, le beau Maligny d’autrefois « en fait la blague, » comme il dit. Mais les rides dont sont déjà griffées ses tempes, mais l’alourdissement commençant de sa taille, mais la demi-ankylose de ses mouvements prouvent que ses quarante-cinq ans, trop bien nourris, et surtout trop sévèrement tenus, pèsent lourd sur ses épaules. C’en est fini des fringantes et libres équipées d’autrefois. Le mariage d’argent lui est une chaîne, sur laquelle il tire, il tire, — pas assez pour la briser. La guerre lui aurait fourni une occasion de se réhabiliter sans un hasard dont il n’est du moins pas responsable. Un accident d’automobile survenu au mois de juillet 1914 lui a cassé la jambe. Nous le voyons, au club, non sans ironie, s’avancer en claudicant vers la table de baccara, jeter sur la salle un regard circulaire, et hasarder, comme un débutant, les cinq ou dix louis qu’il a en poche. S’il gagne, on n’en saura rien chez lui, et, en quelque soir, il s’en ira dépenser cet argent en galante compagnie, furtif et honteux comme un collégien. Sa verve de fabuliste n’existe plus que pour duper l’épouse acariâtre et passionnée