Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/46

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une rencontre presque fantastique, en l’an de grâce 1902, aux portes de Paris, — que dis-je ? dans Paris même ! — C’était bien de quoi éprouver, devant lui, ce petit sentiment d’enthousiasme, si naturel à une enfant de son âge ! Mais elle l’eût rencontré, ce personnage, dans n’importe quelle circonstance, qu’elle l’eût, certes, remarqué, quitte à esquisser, comme si souvent, un hochement de tête et à se répéter un des propos familiers de sa mère :

— « On ne doit pas aimer son mari avec ses yeux, mais avec son cœur… »

Le sauveur d’Hilda était un jeune homme d’environ vingt-cinq ans, très bien pris dans sa moyenne taille, et dont la sveltesse vigoureuse révélait une libre vie d’épanouissement, sans aucune fatigue d’un travail quelconque. C’était celle que menaient, dans ces années, — qui ressemblaient à celles de l’ancien régime, on s’en rend compte à distance, par la douceur de vivre, — les oisifs comblés des hautes classes françaises. Son costume de cavalier était taillé d’après la mode la plus récente. Il constituait, à lui seul, un signalement social, et, plus encore, une frappante physionomie, où les plus farouches partisans des idées égalitaires eussent été obligés de reconnaître l’évidence de ce mystérieux et indiscutable prestige : la Race. Il y avait, dans la coupe des joues du courageux garçon, dans le pli de ses lèvres, dans la ligne un peu aiguë de son nez, une élégance qui rappelait celle de certains portraits du musée de Versailles : quelque chose de très viril et de très délicat, de très naturel et d’extrêmement raffiné. Des yeux noirs, d’une douceur calme et spirituelle, des lèvres aisément souriantes et d’un joli dessin sous une moustache brune, encore légère, achevaient d’en faire un type accompli de jeune patricien. Disons tout de suite qu’il portait, en effet, un des bons noms