Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/55

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à gauche, — toujours dans le même désir d’échapper aux interrogations des habitués des Poteaux, qui la connaissaient. Maligny, lui, se tenait dans cette allée. Il passait, entre eux deux, tant de voitures et tant d’automobiles, dans cette avenue, la plus fréquentée de Paris à onze heures du matin, au printemps, que miss Campbell ne vit pas son sauveur, déjà transformé, de par les tristes lois de la brutalité masculine, en un suborneur. Elle franchit la grille au trot allongé de son cheval, contourna la petite gare, toujours à droite, et longea le boulevard Flandrin, qui longe lui-même la voie du chemin de fer. Maligny, qui venait par derrière, put de nouveau constater son talent équestre, dans une bataille contre son cheval, qui s’effara, cette fois, au sifflement d’une locomotive. Le Rhin, tout à l’heure si paisible, se défendit, pendant deux minutes, avec la sauvagerie d’une bête trop récemment débarquée, qui se sent sur le chemin de son écurie. L’adroite fille en eut pourtant raison, et, comme si de rien n’eût été, elle poussa l’animal, redevenu sage, dans la rue du Général-Appert, dans celle de la Faisanderie, dans celle de Longchamp, toujours sans donner aucun signe qu’elle remarquât le jeune homme, dont le cheval emboîtait le pas au sien, à trente mètres à peine. Il avait bien un peu de honte de son indiscrète chasse, mais le sort en était jeté. Il voulait savoir… Il la vit, enfin, qui tournait par la rue de Pomereu et qui s’engageait dans l’espèce d’impasse sur l’entrée de laquelle une grande pancarte transversale portait écrits ces mots : R. Campbell, horse dealer. L’insulaire n’avait pas daigné les traduire. La pensée que sa « Dulcinée » — comme il l’avait appelée mentalement — pût être la fille de ce marchand de chevaux, — par hasard, il le connaissait seulement de nom, — ne traversa pas une seconde l’esprit de Jules. Il