Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/73

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Bob Campbell, son neveu, l’homme au front scalpé et aux interminables jambes, l’osseux et jaune Jack Corbin, tenait un fouet qu’il se préparait à faire claquer. Un monsieur et une dame, mis avec la correction un peu cherchée de deux Parisiens de haute vie, restaient debout sur la margelle du trottoir. Les uns et les autres suivaient les évolutions d’un grand cheval cap de maure, que manœuvrait, dans l’étroite rue, une jeune femme, ferme sur sa selle, le front barré d’une raie volontaire, les yeux attentifs aux mouvements des oreilles de la bête, la bouche serrée dans un pli d’intense résolution. C’était Hilda. Elle présentait à des acheteurs un animal importé de la veille et que l’audacieuse enfant ne connaissait pas. Ces gens avaient remarqué, dans l’écurie, la belle robe gris-ardoise de cet Irlandais d’un galbe très pur. Il s’agissait, pour le gros Bob, de trois mille francs à gagner du coup, sans frais. La bête lui en coûtait, rendue chez lui, deux mille et il en demandait cinq. Il avait dit à Corbin, — car c’était la dame qui voulait le cheval pour son usage : — « Jack, mettez-lui une selle de femme… », et à sa fille : — « Montez-le, Hilda… » Et la jeune fille était là, qui calmait l’animal, étonné. Avait-il jamais senti une jupe frôler son flanc ? À le voir se grandir chaque fois que l’écuyère le touchait de la jambe, il semblait bien que non. Pourtant, après quelques essais de révolte, il s’était mis à trotter d’une manière à peu près réglée, la tête haute, frémissant, la narine crispée, mais dompté par la légère et juste pression du filet… Tout d’un coup, et au moment où Hilda, après l’avoir fait tourner sur lui-même, puis reculer, comme au manège, le mettait au galop doucement, elle aperçut, debout à l’autre extrémité de la rue, Jules de Maligny qui la regardait. Son saisissement fut tel qu’un flot de sang lui monta au visage et qu’une contraction lui secoua le