Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/72

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lune qui les esclairoit en ciel fort espare.[1]

Quand Jules était tout petit, son père l’avait souvent amené là, pour lui montrer ces soi-disant trophées de la bravoure de leur lignée. En sa qualité de descendant d’une noble race, jeté, par la destinée, hors des traditions militaires, la seule qu’il eût su maintenir, le jeune homme transposait étrangement la leçon d’audace donnée par ces reliques.« Passe avant, Maligny ! », se disait-il, « et ne pensons qu’à vaincre… L’amour, c’est une guerre. Nous allons en reconnaissance et nous hésitons ! Monsieur Jules de Maligny, vous allez vous donner votre parole de savoir qui est votre inconnue, aujourd’hui même, — et vous la tiendrez… »

C’est dans ces dispositions d’enquête immédiate et vivement poussée que ce frivole héritier d’un grand nom débouchait de la rue de Longchamp. Tout à coup, au tournant de celle de Pomereu, où il avait vu disparaître la milady du milord, — comme disait le docteur Graux, en bon Gallo-Romain rebelle à toute connaissance exacte du parler anglais, — un tableau très inattendu l’immobilisa de surprise. Un groupe se tenait devant la porte de l’établissement dont l’enseigne portait toujours le sacramentel : R. Campbell, horse dealer. Quatre personnes le composaient. Un gros homme court d’abord, aux favoris coupés à la hauteur des ailes du nez, flegmatique et grave dans un complet d’une de ces laines aux couleurs brouillées où les Écossais retrouvent toutes les nuances, à la fois vives et fondues, de leurs moors : — le brun du sol, le vert du feuillage de la bruyère, le rose de ses bouquets, le gris de la pierre affleurante. À côté de

  1. Mémoires de Vieilleville, livre VI, chap. xxv : espare, vieux mot pour dire net.