Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/108

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douloureuses en pleine lumière de félicité avait été précisément cela pour Francis : — la chute subite, la descente dans un gouffre où l’épaisseur énorme de l’eau sifflante et aveuglante s’écroule sur nous, de tous les côtés. Elle nous enveloppe à droite, à gauche ; elle fond sur nos pieds ; elle pèse sur notre tête. Certains souvenirs sont ainsi, même quand les émotions qu’ils représentent n’ont plus sur nous qu’une influence toute réflexe et rétrospective. S’abandonner à eux, c’est descendre trop avant dans sa vie, c’est perdre pied, c’est presque se sentir mourir au cher présent, à la saine lucidité de l’impression actuelle, c’est devenir à demi fou pour quelques instants. L’élan par lequel le jeune homme sortit de sa chambre, au soir de cette cruelle après-midi, pour aller vers le salon où il était sûr de revoir Henriette, fut bien cette passionnée, cette irrésistible étreinte du salut certain. Par quelle aberration venait-il de repenser, de revivre toute une portion sombre et maudite de son existence, quand il avait, à côté de lui, pour s’en purifier, une atmosphère bénie ? Il s’échapperait, il s’arracherait du funeste cauchemar où il venait de rouler, rien qu’en revoyant les yeux de sa fiancée, en écoutant sa voix, en éprouvant la sensation de sa réalité, de son souffle, de ses gestes, en la retrouvant aimante et souriante. Ce passé, dont il avait subi la hantise à nouveau pour quelques heures, qu’était-ce