Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/117

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trouble étrange de Francis, la seule qu’elle ne pût pas avouer à sa mère. Elle s’était souvenue du pressentiment de malheur dont il avait parlé le matin. Elle n’avait pas dit à son fiancé combien elle croyait elle-même à ce que la mysticité enfantine de son langage appelait la « double vue du cœur ». Sans doute ce même pressentiment avait de nouveau troublé le jeune homme, à la lecture de ces lettres où elle se disait si heureuse. Il avait prévu pour elle un grand chagrin et il avait pleuré. Mais quel pouvait-il être, ce chagrin, sinon une aggravation dans l’état de leur chère malade, et elle baisait en silence les blanches mains amaigries que la comtesse allongeait sur la couverture de laine rouge à nœuds de soie, — un travail qu’elle avait fini durant les quelques semaines passées à Palerme seules, et pendant que le vent de la mer environnait de sa plainte, comme ce soir, la tour du Continental. Quelle stupeur mélangée d’une indignation épouvantée la pure enfant aurait éprouvée, si, perçant du regard les murs qui la séparaient de Francis, elle l’avait vu assis à sa table, le front dans la main, et se préparant à écrire, — à qui ?… Lui aussi entendait le vent croître et décroître, s’en aller, revenir. Il voyait Henriette écoutant cette plainte, — et une autre femme. Maintenant qu’il avait pu réagir contre la secousse dont l’avait frappé la première nouvelle du voisinage de son