Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/136

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imprudente anxiété de physionomie durant cette soirée tourmentée avait éveillé chez sa fiancée, et qui eût pu aboutir à la plus douloureuse inquisition, s’était dissipé aussitôt. Il lui avait suffi de la trouver seule vers les neuf heures du matin dans le salon où la table à thé déjà dressée les attendait. Un mot, un regard, un serrement de main avaient calmé la douce enfant. La plus fausse des situations qu’il eût pu imaginer semblait donc ne pas porter de conséquences, et il aurait dû par suite retrouver aussitôt le plein équilibre de son bonheur. Mais non, dès ce matin-là, et rien qu’en se rendant de sa chambre à ce salon, quarante pas avaient suffi pour lui faire comprendre combien son ancienne maîtresse gardait le pouvoir de le bouleverser, même sans agir, par sa seule existence. Y aurait-il, dans certaines douleurs trop prolongées, une véritable lésion de nos nerfs ou de notre cerveau, et qui, même cicatrisée, laisserait après elle la trace sensible que laisse une blessure fermée trop tard ? Ou plutôt n’était-ce pas qu’il ne pouvait penser à Pauline sans penser à quelqu’un d’autre ? Pendant une demi-minute il s’était arrêté pour regarder les marches de l’escalier qui montaient entre des bambous et d’autres plantes exotiques vers l’étage d’en haut, et il n’avait pu se retenir de penser, dans l’éclair de cette seconde : « Si pourtant je les voyais descendre… » En imagination deux femmes lui