Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/138

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où l’appréhension de l’inévitable rencontre remuait à une telle profondeur certaines cordes douloureuses de son âme !

Mais dominer sa physionomie, ordonner à son regard de se taire, à ses lèvres de plaisanter, se masquer enfin d’indifférence ou de bonne humeur, ce n’est pas vaincre sa pensée, et quand, en rentrant de la promenade et une fois la porte de l’hôtel franchie, Nayrac l’eut retrouvée là, cette pensée, toujours la même, toujours accompagnée de la même indomptable émotion : « Si j’allais les rencontrer ?… » il acheva de se convaincre que Pauline Raffraye n’avait pas besoin de le persécuter, d’intriguer, de s’insinuer dans l’intimité de Mme Scilly pour lui détruire toute sa tranquillité, ce que sa fiancée appelait, avec une caressante mièvrerie : leur « beau fixe ». C’était assez qu’elle fût sous le même toit que lui, assez qu’il pût, qu’il dût immanquablement se rencontrer face à face avec elle. Et, retiré de nouveau dans sa chambre, après une soirée où cette fois il avait du moins pu continuer sa comédie de calme, — Dieu ! Quel effort que ces mensonges-là pour un cœur qui aime ! — il lui fallut se rendre à l’évidence : il ne pouvait pas, il ne pourrait plus retrouver en lui cette sensation de bonheur absolu qui était la sienne, si peu de jours auparavant, lorsqu’il se promenait par un si clair matin avec Henriette dans les