Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/142

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vers cet être, comme toutes les gouttes d’eau de tous les fleuves roulent vers la mer. Il sait cela, mais trop tard. Il le conçoit par l’esprit, ce sentiment simple et complet. Hélas ! Pour en jouir il faudrait redevenir l’enfant de vingt-deux ans qui aime une enfant de dix-huit ans et qui l’épouse, et tous les deux se prodiguent l’un à l’autre cette même fraîcheur de l’âme, cette même virginité du cœur qui n’a jamais battu, de la bouche qui n’a jamais menti, des sens qu’aucune fièvre coupable n’a brûlés. Ces conditions du grand amour, combien d’entre nous en méprisèrent les trop humbles délices quand ils commencèrent de sentir ! Combien ont voulu cueillir le fruit de l’arbre maudit, goûter, savourer la science du bien et du mal ! Et ce sont pourtant ces humbles délices qu’ils essaient de posséder à nouveau, quand ils demandent au mariage ce que les passions ne leur ont pas donné, affamés de vertu, de sincérité, d’innocence retrouvée. Pour quelques-uns, cette rentrée dans la voie droite s’accomplit sans trop d’effort. Pour d’autres, non. Il semble que leurs fautes d’autrefois les tiennent prisonniers, ceux-là, et qu’une justice vengeresse leur interdise de reconquérir ce qui fait le lot le plus commun, presque le plus vulgaire. Ah ! Cette honnêteté dans l’amour, comme Francis en avait reconnu le prix durant ces quelques mois de sa naïve idylle ! Il allait le reconnaître davantage