Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/152

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parler. Nous nous sommes approchées, sans qu’elle prît garde à nous, et j’ai essayé de caresser les beaux anneaux de ses boucles fauves. Elle s’est retournée toute rouge. Un éclair de petite biche farouche a brillé dans ses yeux. Elle a serré sa poupée avec emportement, et elle s’est précipitée dans les jupes de la vieille femme de chambre qui demeurait toute confuse devant l’aversion que l’enfant nous montrait. « Elle est si sauvage, » répétait-elle, et comme j’insistais : « Comment vous appelez-vous, mademoiselle ? » — « Réponds donc, » disait la bonne, « Mlle Adèle Raffraye, » et désespérée de ce que la petite enfant cachait davantage sa figure, avec cet on indéfini, cher aux gens du peuple et qu’emploie aussi notre vieille Marguerite : « C’est qu’on est si peu habitué à voir du monde, on a passé tant d’années à la campagne, on est pourtant bien gentille quand on veut… » Moi, qui ai la prétention d’apprivoiser tout de suite tous les enfants et tous les chiens, » continua Henriette en riant, « vous devinez si j’ai été humiliée de cet échec. Et il a fallu partir sans avoir revu les jolis yeux fâchés d’Adèle… » Puis, avec un nouveau passage d’émotion dans sa voix : — « Ne trouvez-vous pas cela bien mélancolique tout de même, cette petite fille qui joue à la poupée malade, malade de la maladie qui la rendra orpheline elle-même demain, dans huit jours, dans quelques mois ?… »