Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/166

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sur ses épaules trop minces. Mais la fragilité de tout un pauvre corps trop nerveux ne se devinait-elle pas sous la robe de laine d’une nuance gros bleu, qui laissait voir des jambes trop fines dans leurs bas de soie noire ? Un col de dentelle isolait le cou trop mince aussi, et le bord d’un large chapeau de feutre de la couleur de la robe mettait une ombre sur le visage aux traits menus, qu’éclairaient deux yeux bruns très grands, de ces yeux où se lit trop d’âme, un éveil trop précoce de la vie intérieure. Francis regardait tous ces détails avec la fixité dévorante et épouvantée d’un homme qui semble ne pas croire, qui ne croit pas à la réalité de ce qu’il voit. Ce ciel bleu, ce jardin vert, ces gens assemblés n’étaient qu’un décor où la petite fille lui apparaissait, si étrangement pareille à l’autre, à sa douce morte, que dans ce premier frisson de sa surprise, tout préparé qu’il y fût par la phrase d’Henriette, il n’aurait pas su marquer une différence entre elles. La bouche entr’ouverte d’Adèle avait dans son joli dessin le même gracieux défaut que celle de Julie, une lèvre d’en haut un peu courte et qui découvrait à demi l’émail mouillé des dents. La coupe de la joue un peu longue au contraire et celle du menton rappelaient aussi Julie avec une identité fantastique. C’était tout de même, à l’étudier de plus près, une autre créature, une Julie plus fragile, plus délicate encore. Dieu ! Comme