Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/17

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manifestée hautement pour une certaine tentative d’art, elle peuvent certes se méprendre, — et il me semble que c’est ici le cas, — mais leur opinion, même erronée, n’est pas négligeable, et c’est pourquoi, sans relever des épigrammes par trop évidemment partiales, ou des reproches par trop certainement iniques, je voudrais essayer de répondre aux deux ou trois des objections les plus habituellement soulevées contre le genre lui-même par-dessus et à travers ses adeptes.

Du point de vue purement esthétique, ses adversaires paraissent surtout persuadés que les diverses qualités qui donnent à un récit imaginaire la couleur de la vie sont inconciliables avec l’analyse poussée un peu loin. Ils raisonnent à peu près ainsi : « Vous prétendez copier les passions. Or le premier caractère des passions est précisément d’abolir dans celui qu’elles dominent le reploiement sur soi. Un homme qui aime vraiment pense à ce qu’il aime et non pas à son amour. Un homme qui désire pense à l’objet de son désir et non pas à son désir. On l’a dit souvent aux psychologues de l’école de Jouffroy, et le mot est encore plus juste appliqué aux psychologues du roman : on ne se met pas à la fenêtre pour se voir passer dans la rue. Quand vous dénombrez minutieusement les états d’âme qui préparent les actes