Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/18

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de vos personnages, vous vous substituez à eux sans vous en apercevoir, puisque vous peignez d’eux ce qu’ils ne peuvent eux-mêmes ni constater ni discerner. La vie comporte une demi-obscurité des cœurs, un sourd et continuel travail de l’instinct aveugle, un jaillissement et un mouvement de spontanéité incompatibles avec cette anatomie continue qui est votre but et votre méthode. Tout ce que l’on dissèque est mort. » Je ne crois pas avoir diminué l’objection en la formulant. Elle est très spécieuse. Son grand défaut est qu’elle s’applique à toute espèce de procédé littéraire aussi bien qu’au procédé analytique. Un romancier de l’école impersonnelle, Flaubert, par exemple, — je choisis le plus indiscuté de tous, — peint un paysage autour de Madame Bovary ou de Frédéric Moreau. Ne montre-t-il pas ce paysage tel qu’il le voit, lui, avec ses yeux d’artiste ? Lui serait-il possible de reconstituer autrement que par la plus invérifiable hypothèse, ce que les yeux de la jeune femme ou du jeune homme ont pu réellement saisir, et, par conséquent, le contre-coup que leur sensibilité a pu en recevoir ? Toute narration d’un fait extérieur n’est jamais que la copie de l’impression que nous produit ce fait, et toujours une part d’interprétation individuelle s’insinue dans le tableau le plus systématiquement objectif. C’est le dosage de