Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/198

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était comme un blessé, en effet, qui ne peut faire un mouvement sans rencontrer la douleur causée par sa plaie. Lui aussi, dès cette entrevue du matin, et dans ce mouvement d’âme qu’il avait comme autrefois vers Henriette, il rencontrait tout de suite la douleur de son idée fixe. Il imaginait, malgré lui, le salon d’en haut, pareil à celui-ci, avec le même horizon, et il voyait la petite Adèle déjeunant seule avec sa vieille bonne, tandis que la mère se reposait de ce sommeil accablé que les malades comme elle subissent d’ordinaire dans la lassitude du jour commençant. Le contraste entre ces deux appartements d’hôtels, si voisins et si distants, le déchirait. Il se tendait à la chasser, cette cruelle idée fixe. Il y réussissait un moment. Puis comme elle revenait vite ! Un peu avant les onze heures, presque chaque jour, ils sortaient, la comtesse, Henriette et lui. En passant sous les murs du jardin de l’hôtel, il voyait frémir le grand feuillage lustré de l’eucalyptus détaché en vert pâle sur sa ramure d’une nuance éteinte, comme mauve, et les panaches sombres des hauts palmiers remuaient au-dessus du toit gothique de la chapelle anglaise. Il pensait que l’enfant était là, sans doute, qui jouait dans les allées de ce jardin, au pied de ces arbres. Il tombait alors dans le silence d’une si mélancolique rêverie, même sous les beaux yeux caressants de son aimée !