Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/253

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qui démentaient ce soupir de soulagement et cette fausse sécurité. Pensive, elle éteignit sa lampe pour dormir, et à peine dans les ténèbres son imagination commença de travailler sur le simple récit qu’elle venait d’entendre, avec une intensité qui ne lui permit pas le sommeil. Ses dix années de solitude lui avaient trop supprimé cette sensation de l’événement inattendu, qui rend la vie sociale presque intolérable à ceux qui s’en sont une fois affranchis. Elle se démontra bien que ce nouveau hasard de rencontre n’était qu’une conséquence naturelle de cet autre hasard autrement extraordinaire, quoique au demeurant très naturel aussi : sa présence dans le même hôtel que son ancien amant, dans ce caravansérail cosmopolite où ils s’étaient retrouvés. Inquiète comme elle était depuis trois semaines sur les intentions possibles de Nayrac, au point de s’être décidée à ce fatigant déménagement, elle se demanda soudain si cette conversation de Mlle Scilly avec Adèle ne marquait pas la première étape d’un plan de campagne calculé. Cet homme qui avait été son bourreau et qui la savait si révoltée contre lui, n’était-il pas capable d’avoir tout aménagé pour que Mlle Scilly rencontrât la petite fille, — et dans quel but ?… Ici sa raison se confondait, pauvre raison troublée par le souvenir d’une injustice de tant d’années, envahie par la fièvre, épuisée par l’abus de la rêverie, ébranlée