Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/279

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que, bourreau de sa propre destinée d’abord, il ne frappait sa victime qu’à travers son propre cœur ? Est-ce une excuse quand on assassine ? C’était cette impression d’un assassinat que lui donnait le souvenir de ce corps détruit qu’il avait tenu entre ses bras si affreusement léger et consumé, — squelette misérable en qui palpitait encore juste assez d’existence pour souffrir et pour agoniser ! Cette image allait devenir la forme vivante de son remords. Elle l’était déjà tandis qu’il descendait l’escalier du côté de l’étage d’en bas, la tête nue, les jambes flageolantes, et les conditions particulièrement cruelles où se jouait cette tragédie intime voulaient qu’il fût à peine à deux pas de sa fiancée, que cette fiancée l’attendît à ce moment même. Cette fois l’épreuve était trop forte. Cette conversation avec Pauline ne lui avait pas laissé une énergie qui lui permît de dissimuler. Il lui sembla que la jeune fille, si naïve fût-elle, lirait dans tout son être le bouleversement dont il était secoué, que Mme Scilly le devinerait aussi. Échapper aux interrogations pressantes de ces deux femmes, à cette minute, il ne le pouvait plus. Il eût été bien simple de leur répéter le récit que Pauline avait eu la présence d’esprit, presque héroïque, d’imaginer par amour pour sa fille. N’avait-il pas accumulé de nouveau, depuis ces quelques jours, trahisons sur trahisons, réticences sur réticences ? Il faut rendre