Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/294

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était entièrement dépourvue des armes qu’une telle défiance trouve d’ordinaire à son service. L’art des questions adroites et des savantes enquêtes n’était pas le sien, et elle était encore moins capable de ces procédés brutaux qui déshonorent la passion en assouvissant du moins cette frénésie de vérité ; épier des démarches, violer le secret d’une correspondance, faire parler des inférieurs. Elle n’avait pour servir sa jalousie que cette sensibilité déjà si vive, avivée encore par de longues journées de malaise, cet art douloureux de percevoir par le cœur des nuances que son esprit n’eût pas discernées, qu’il était impuissant à interpréter et à même admettre. La nuit qui suivit l’annonce du tout prochain départ de son fiancé se passa donc pour elle à se démontrer que, dans l’espace de cette après-midi, aucun événement nouveau n’avait pu décider Francis à ce départ, à moins qu’il n’eût été rappelé par une dépêche dont il n’avait point parlé. Les lettres, en effet, étaient arrivées le matin. On les avait apportées comme d’habitude pêle-mêle au salon. Comme d’habitude, le jeune homme avait ouvert les siennes aussitôt, et visiblement sans y prendre le moindre intérêt. Visiblement aussi, ce matin-là, il était, sinon gai, du moins très calme. Il avait changé dans l’éclair d’un instant que le souvenir d’Henriette précisait à cinq minutes près, comme si,