Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/320

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semaines. — Ah ! Jamais comme aujourd’hui ! — Non, jamais il n’avait senti à ce degré son impuissance à s’échapper de ce passé qui refluait sur lui toujours, comme la marée reflue sur le malheureux qu’elle a une fois surpris, le renversant d’un coup de lame quand il se relève, l’enveloppant de houle quand il court, l’aveuglant d’écume quand il cherche un rocher où s’appuyer, l’assourdissant de clameurs quand il appelle. Fut-ce l’impression subie ainsi d’une inévitable destinée, qui paralysa chez le jeune homme l’énergie d’une dernière défense ? Fut-ce la mortelle lassitude de l’hypocrisie, qui, devant certaines enquêtes trop pressantes, nous fait renoncer en quelques minutes au bénéfice de longs et savants mensonges ? Fut-ce l’horreur de tromper davantage un être aussi droit, aussi loyal, aussi désarmé que venait de se montrer Henriette ? Fut-ce l’impossibilité de se défendre sans mêler Pauline à cette défense ? Fut-ce enfin l’évidence d’une catastrophe certaine et dans laquelle il pouvait du moins sauver, par un suprême retour de franchise, ce qui lui restait d’honneur sentimental ? Toujours est-il qu’au lieu de s’acharner à d’inutiles et dégradantes protestations, il répondit d’une voix devenue sourde, âpre et brève :

— « Il est parfaitement vrai que je connais la personne dont vous venez de me parler, parfaitement vrai que je me suis trouvé dans sa chambre