Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/355

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ses deux chevaux la tour du Continental, le jeune homme sentit qu’aucune n’était changée parmi les émotions contradictoires qui l’avaient acculé à cette tragique impasse. La pensée de sa fille venait de lui faire autant de mal que le souvenir d’Henriette.

— « Toutes les deux !… » gémissait-il en s’enveloppant contre le froid de cette aube de décembre. « Est-ce un crime de les aimer toutes les deux ? En serait-ce un si j’avais été marié avec Pauline, puis veuf, et si je me remariais avec Henriette ? Non. Le crime n’est pas dans les conflits de ces deux sentiments. Il est ailleurs. Et ce conflit n’est qu’une expiation. Comme elle est dure ! De plus coupables que moi sont pourtant sortis d’un mauvais passé ! Et moi, voici que ce passé me poursuit, qu’il me ressaisit, qu’il m’assiège… N’en guérirai-je jamais ? Non, jamais. Et à quoi bon tant souffrir, puisque je ne peux rien pour ma pauvre petite Adèle, rien, absolument rien. Mon Dieu ! pourvu qu’il me soit permis du moins de pouvoir encore quelque chose pour Henriette !… »

Pour avoir la réponse à cette question qu’il se posait plus anxieusement tandis que le train courait loin de Palerme, et que ce matin voilé éclairait la mer mouvante, violette ou grise tour à tour, les montagnes nues et brunâtres, les vastes