Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/376

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douleur de son mouvement est aussi un cri de renaissance… À quoi comparer, en effet, sinon à une subite et mortelle descente au fond d’un abîme, ces heurts que la réalité inflige à l’âme, précipitée par une révélation soudaine de toute la hauteur de son idéal ? Entre le Francis qu’avait imaginé, admiré, aimé Henriette et celui qu’une brutale confidence lui avait montré si faible, si coupable, si lâche, entre le monde de chimères où elle avait plané et la misère morale où elle se débattait maintenant, n’y avait-il pas toute la distance qui sépare l’illusion et l’expérience, l’enthousiasme et le dégoût, l’exaltation et le désenchantement, profondeur d’abîme aussi terrible que celles des plus monstrueux gouffres des Alpes ? C’est notre histoire commune et notre grande épreuve à tous que ce passage, quand il nous faut quitter l’univers de visions sublimes où se complut notre élan premier pour descendre dans cet univers de conditions médiocres où nous devons agir. Mais d’ordinaire cette chute nous est ménagée par une série de menues déceptions successives, et ce n’est pas d’un rêve très élevé que nous tombons. Le sort n’avait pas voulu qu’il en fût ainsi pour Henriette, qu’aucune transition n’avait préparée à voir son horizon d’espérance disparaître tout entier d’un coup. Ce qu’elle pleurait en ce moment, la joue appuyée sur la main de sa mère,