Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/379

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— « Que je suis peinée de t’entendre parler ainsi, » interrompit la mère, « ou plutôt de te voir sentir d’une manière pareille ! Et sais-tu si, tout au contraire, l’épreuve que tu traverses en ce moment n’est pas un bienfait ? Oui, un bienfait… Suppose que vous eussiez rencontré cette femme et cette petite fille, Francis et toi, une fois mariés, et que tu eusses appris alors ce que tu as appris avant-hier ? Ne te plaindrais-tu point de n’avoir pas eu cette triste révélation quand tu étais libre encore, avant de t’être engagée pour toujours ?… »

— « Avant ou après, » dit la jeune fille, « en quoi l’injustice serait-elle moindre ? Qu’ai-je fait pour mériter d’être atteinte dans ce que j’avais de plus cher au monde, dans cet amour qui était tout mon orgueil, toute ma joie de vivre, toute mon espérance ?… »

— « Il l’était trop sans doute, ma pauvre enfant, » répondit la mère d’une voix profonde. « Que serais-je devenue, que serais-tu devenue toi-même, si j’avais eu le malheur, il y a quinze ans, de penser ce que tu penses aujourd’hui, lorsque j’étais au chevet du lit de mort de qui tu sais ? Et lui aussi, il était tout mon orgueil, toute ma joie de vivre, toute mon espérance. Il était davantage encore puisque tu étais sa fille, et que j’avais besoin de son appui pour t’élever… J’ai triomphé du désespoir cependant, parce que je