Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/39

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renouvelée de son mari de qui elle adoptait les moindres idées, quoiqu’elle le détestât, par une contradiction assez fréquente dans les mauvais ménages. On se hait du fond du cœur et la force de l’accoutumance est telle qu’on arrive à se ressembler intellectuellement, quelquefois physiquement. Par quels procédés la mère la plus habile pourrait-elle, sans éveiller des défiances, ramener sur la ligne désirée une conversation qui dévie ainsi ? Et elle n’ose plus formuler aucune question, mais elle calcule que M. d’Avançon essaye d’oublier l’enfer conjugal en menant à soixante ans la vie de cercle, et qu’il doit rencontrer Francis Nayrac dans des endroits où la vérité des mœurs se décèle mieux que dans le monde, et elle parvient, grâce au développement du plus subtil machiavélisme, à provoquer cette autre déclaration :

— « Francis Nayrac ? un charmant garçon, une très jolie fortune. Je le vois cette année-ci au petit club. Au moins avec celui-là on peut causer d’autres sujets que des courses et du tirage à cinq… » Et une dissertation suit, dans laquelle le plus intransigeant de nos vieux Beaux s’abandonne à sa colérique envie contre la génération présente. Il y entremêle de son côté des observations et des idées de sa femme, mais il oublie complètement Nayrac… À la dixième expérience de ce genre, force est bien à la pauvre mère de s’avouer que le