Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/60

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maîtresse a blessé une certaine place profonde et malade de notre cœur, elle a beau n’avoir eu de nous que quelques semaines, elle nous demeure inoubliable et à jamais vivante. Nous mettons entre elle et nous la distance, le temps, d’autres visages, d’autres caresses, d’autres joies, d’autres douleurs. Rien n’y fait. Nous l’avons dans le sang, comme dit une énergique et si juste expression du peuple. Il faut ajouter que cette première rencontre de Francis Nayrac avec Pauline Raffraye s’était accomplie dans des conditions particulièrement dangereuses pour lui. Il avait alors vingt-cinq ans. Ayant perdu très jeune son père et sa mère, toutes ses affections de famille s’étaient reportées sur une sœur unique, Mme Julie Archambault, mal mariée et peu heureuse. Cette sœur, son aînée de quatre ans, l’avait élevé, dans cette période difficile de la fin de l’adolescence où la tendresse ne sert de rien quand elle n’est pas accompagnée par un sens très juste des lois vraies du monde social. Julie commença par vouloir garder son frère auprès d’elle. Il fit donc son droit aussitôt à sa sortie du collège, reculée d’une année à cause de la guerre, et il eut des aventures très banales, vulgaires, qu’elle sut et qui lui firent peur. Elle pensa que la fortune et l’oisiveté allaient le perdre, et elle considéra comme un grand sacrifice, mais nécessaire, de l’occuper et de l’occuper loin de Paris. Les tristes